A propos de l’Atlas sonore des langues régionales de France du CNRS

A propos de l’Atlas sonore des langues régionales de France du CNRS

Fin juin, une équipe de trois chercheurs d’un laboratoire informatique du CNRS a mis en ligne une carte interactive présentant une fable d’Esope lue en 126 variétés de langues « régionales de France ». Le breton est couvert par quatre points, Kemper, An Alre, Lesneven et Lannuon.

Voici le texte de la fable tel que présenté pour le point Lannuon :

Tabut a oa savet etre an avel-viz hag an heol, pep hini o lakaat da wir e oa an tu kreñv gantañ, pa weljont ur beajour o tostaat, gwisket mat gant ur porpant. Sevel a rejont a-du evit ma vefe degemeret ar c’hreñvañ an hini a zeufe a-benn da lakaat ar beajour da ziwiskañ e borpant. Neuze, e krogas an avel-viz da c’hwezhañ par ma c’helle, ha seul greñvoc’h e c’hwezhe seul vuioc’h e starde ar beajour e borpant, ken e tilezas an avel-viz, en diwezh, ar c’hoant e tilemfe ar paotr e borpant. Neuze e krogas an heol da barañ ha goude ur pennad, ar beajour, tommaet dezhañ, a ziwiskas e borpant. Setu e rankas an avel-viz kouzantiñ e oa an heol ar c’hreñvañ eus an daou.

Si l’on ne peut que se réjouir de toute initiative prenant en compte la diversité linguistique en France, force est de constater que l’enregistrement est très éloigné de ce qui peut s’entendre aujourd’hui dans le Trégor avec des locuteurs natifs. Sur le plan lexical, l’emploi des termes tabut, avel-viz, beajour, tilezas, diwezh, tilemfe, parañ, setu est improbable. Certains termes apparaissent dans une forme non trégorroise : c’helle pour c’halle, rankas pour renkas, pep pour pop. L’utilisation qui est faite de krogiñ, commencer en standard, diffère du dialecte trégorrois qui utilise soit komañs soit bezañ krog. On repère par trois fois une mutation d-z, improbable elle aussi dans le secteur de Lannuon. Avec l’imparfait, le prétérit est l’autre temps du texte, or ce temps n’est plus employé que de façon marginale, et seulement à la 3ème personne du singulier. Une terminaison en -jont est donc hautement improbable. Quelques locutions, inconnues de notre corpus, nous paraissent relever de la seule langue littéraire : lakaat da wir, sevel a-du, par ma c’helle. Une locution en seul… seul… est rarissime, le trégorrois usant bien plus abondamment de la structure kreñvoc’h-se… muioc’h-se… .

La langue populaire ne prononce plus les particules verbales a et e depuis longtemps, à l’inverse de l’enregistrement. Sur le plan de la phonologie, les c’h de début de mot sont réalisés de façon bien trop forte en [x] alors que la langue orale prononce un [h] fortement aspiré. Le pronom possessif e est lui prononcé en [e], alors qu’il se réalise en [i] dans notre breton. Enfin, les phrases sont bien trop longues par rapport à l’impératif de l’oral.

On en vient donc à la conclusion que le breton entendu au point « Lannuon » est du breton littéraire avec une légère coloration trégorroise, langue dans tous les cas très éloignée de ce qui se dit parmi les locuteurs natifs du Trégor aujourd’hui. Je ne sais pas quel était l’objectif des concepteurs de cette carte, mais je miserais quand même une pièce sur le fait que c’étaient davantage les parlers authentiques qui les intéressaient que les langues standards.

 

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